Itinéraire d’un bipolaire gâté
- Moryotis
- 21 avr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Je m’appelle Grégoire Petit, j’ai 51 ans, je souffre de trouble bipolaire depuis 30 ans.
A l’âge de 21 ans, j’étais en première année d’école de commerce, nous recevions des étudiants étrangers dans le cadre d’une association, et subitement je suis parti dans un délire, au sens propre du terme, sur les différences culturelles entre les pays des participants.
Je griffonnais plein de notes dans mon agenda papier, mon cerveau tournait hyper rapidement, je n’avais pas le temps d’expliquer tout ce qui me passait par la tête.
Un copain m’a dit : qu’est-ce qui t’arrive ?
J’ai répondu : j’en sais rien.
Puis je me suis reposé et c’est passé tout seul.
Je n’ai pas consulté de médecin.
Je ne le savais pas encore, mais je venais de vivre la première phase maniaque de mon trouble bipolaire.
Six mois plus tard en allant chez mes parents pour Noël, j’ai pété les plombs. J’étais très énervé, je criais tout le temps…
Mes parents m’ont envoyé chez le médecin traitant, qui m’a envoyé chez le psychiatre, qui a pensé au trouble bipolaire, à confirmer.
Cela c’est largement confirmé par la suite.
J’ai vécu des dizaines de phases maniaques ou hypomaniaques et quelques phases dépressives, dont une avec des antidépresseurs pendant un an.
Heureusement la plupart du temps je n’étais ni en phase maniaque ni en dépression, c’est ce qu’on appelle les intervalles libres, pendant lesquels la santé mentale peut quand même poser problème, par exemple j’ai toujours été plus fatigable que la moyenne des gens.
Ça n’a pas toujours été facile.
A 22 ans, j’ai été sélectionné pour un accord d’échange à Berlin, où je devais passer 18 mois.
Je me suis installé à Berlin, je partageais un logement étudiant avec un allemand de l’ouest et un allemand de l’est, tous deux très peu causants.
Avec les autres Français de l’accord d’échange, on attendait que les cours commencent.
On buvait des coups le soir.
Au bout de 2 semaines, je ne dormais plus la nuit, et j’avais des impressions très bizarres, je croyais que les gens devinaient mes pensées et me voulaient du mal.
Un matin, n’ayant pas dormi de la nuit, j’appelle mes parents.
Mon père décroche : que se passe t il ?
Moi : je ne dors plus, ça ne va pas.
Il me dit : alors rentre !
Mes parents habitaient Nîmes a l’époque.
J’achète un billet de train pour Paris avec un changement à Francfort.
Dans le premier train, je me sens très mal, j’ai l’impression que tous les passagers du train captent mes pensées et m’en veulent… aux deux tiers du voyage, le train s’arrête en pleine voie dans un petit bois.
Je prends mon sac et j’appuie sur le bouton de la porte.
La porte s’ouvre.
Je descends du train.
C’est la nuit tombante.
Le train repart sans moi.
Je suis seul dans le bois, complètement perdu.
Je tombe à genoux dans la terre et je perds mes lunettes.
Je me mets à pleurer et je crie vers Dieu « pitié, tire moi de là ! ».
Je marche et j’arrive sur une petite route bordée par une auberge.
Je demande à téléphoner.
Mon père décroche : « où es tu ? ».
Je lui donne l’adresse. Il me dit : « on te rappelle ».
En effet, 25 minutes après, il me rappelle : « j’ai un cousin qui habite en Allemagne, près de là où tu es. Il arrive ».
J’ai dormi chez le cousin toujours en proie à mes délires, le lendemain mon père est venu me chercher en avion et m’a ramené chez lui.
Mon accord d’échange est tombé à l’eau et j’ai eu peur de ne pas pouvoir être diplômé de mon école… heureusement tout s’est arrangé, j’ai pu faire un stage près de chez mes parents (une fois que les médicaments m’ont ramené sur terre) et j’ai terminé le cursus à Paris.
J’ai été diplômé. Ouf !
A l’âge de 27 ans, n’ayant pas trouvé de copain avec qui partir en vacances, je décide de passer les congés d’été seul aux États-Unis et au Canada.
J’ai beaucoup aimé mais je rentre épuisé et je déclenche une phase maniaque, alors que j’étais plutôt en dépression jusque là.
Je me prenais pour Jésus Christ en personne.
Je vis ma première hospitalisation.
J’avais peur d’y aller, pour moi les hôpitaux psychiatriques c’était pour les fous !
J’avais peur de croiser des gens dangereux.
Au final je n’ai croisé aucun danger public mais j’ai eu la sensation d’être enfermé, j’étais dans un service fermé, hospitalisé à la demande de tiers, en l’occurrence mes parents.
Au bout de deux jours je voulais déjà sortir mais la psychiatre de l’hôpital me disait que seuls mes parents pouvaient me faire sortir, quant à mes parents que j’avais au téléphone, ils me disaient qu’ils faisaient confiance à la psychiatre.
Un vrai Kafka !
Finalement je suis sorti au bout d’une semaine mais ça m’a paru très long.
A 30 ans, je me suis marié, c’était une belle revanche, un jour très heureux, le plus beau jour de ma vie.
A 32 ans, seconde hospitalisation. Je me prenais a nouveau pour le Christ, une vraie manie!
Ma femme me conseille de me présenter au CHU.
J’y vais avec mes affaires et je demande à être hospitalisé.
Le médecin accepte.
En arrivant à l’hôpital, j’indique qu’il me faut des neuroleptiques.
Je sais que c’est le type de médicaments qu’il me faut pour arrêter la crise maniaque.
Pour une raison que j’ignore, ils ne m’en ont pas donné.
Chaque jour mon état se dégrade.
J’en parle avec ma femme par téléphone.
Elle appelle mon psychiatre en ville.
Il appelle le psychiatre de l’hôpital et me fait sortir contre avis médical, au bout d’une semaine à nouveau.
Je me dis que si j’ai la possibilité de ne pas retourner à l’hôpital, jamais je n’y remettrai les pieds.
Aujourd’hui, 19 ans plus tard, je n’y suis en effet pas retourné.
J’ai la chance d’être bien stabilisé, mais j’ai souvent dû me mettre en arrêt pendant 3 jours pour me reposer, car je reste fatigable.
Cependant depuis 19 ans je ne me suis pas pris pour le Christ, ce qui est déjà un progrès !
Je suis actuellement en vacances en Bretagne avec ma femme et mes enfants, vous souhaitant une bonne journée ou une bonne soirée !
Bonjour Grégoire,
Je voulais te remercier pour ton témoignage très touchant et inspirant. Ton parcours me donne de l'espoir dans mon propre rétablissement !
Je te souhaite le meilleur.
Bise