Le grand business de la santé mentale : quand le bien-être devient une arnaque douce
- Moryotis
- il y a 4 jours
- 4 min de lecture

Depuis quelques années, la santé mentale est partout. On en parle à la télé, dans les entreprises, sur Instagram, dans les podcasts, chez les psys, les RH, les coachs, les influenceurs bien-être. On t’invite à “prendre soin de toi”, à “t’écouter”, à “gérer ton stress”, à “travailler sur toi-même”. En apparence, c’est une avancée : on brise les tabous, on parle enfin de souffrance psychique.
Mais derrière cette vague bienveillante se cache une dynamique beaucoup plus sournoise : la récupération marchande du mal-être, déguisée en accompagnement spirituel et en solution miracle. Bienvenue dans l’ère du bien-être monétisé, du développement personnel sous abonnement, de la souffrance psychique transformée en opportunité commerciale.
Le mal de vivre comme produit de consommation
Dans le monde actuel, le mal-être n’est plus vu comme une expérience humaine à interroger, mais comme un bug à corriger. Tu es anxieux ? Voilà une app de méditation guidée à 12€/mois. Tu es en burn-out ? Offre-toi un week-end bien-être avec stage de yoga et jus détox. Tu te sens perdu ? Un coach certifié (sur Instagram) peut t’aider à “élever ta fréquence vibratoire” pour 150€/séance.
Ce nouveau langage du bien-être, à la frontière du médical et du spirituel, a un point commun : il déplace le problème de la société vers l’individu. Si tu souffres, ce n’est jamais parce que le monde est violent, absurde ou aliénant. C’est parce que tu ne gères pas tes émotions, que tu vibres mal, ou que tu n’as pas encore fait “le travail sur toi”.
Et ce glissement est fondamental : il transforme ta souffrance en marché. Tu deviens un consommateur de paix intérieure, un client du développement personnel, un “patient” perpétuellement à équilibrer.
Le grand détournement : quand le spirituel devient une stratégie marketing
Là où la psychiatrie se montre parfois brutale, les nouvelles tendances bien-être avancent masquées : elles vendent la douceur, l’harmonie, l’alignement. Mais leur logique est la même : neutraliser la pensée critique en individualisant les symptômes.
La spiritualisation commerciale du mal-être est aujourd’hui un pilier de cette arnaque douce. Elle ne propose pas une véritable introspection, ni un lien avec le monde : elle vend des phrases creuses et des solutions miracles.
“Tu es ton propre guérisseur.”
“Visualise ta réalité et elle s’alignera.”
“Nettoie tes énergies, libère ton enfant intérieur.”
Ce type de discours t’invite à croire que le salut est entièrement entre tes mains. Et tant pis si tu es en précarité, isolé, maltraité par le système. La faute ne vient pas du réel : elle vient de ton “mindset”. C’est l’ultime retournement : le monde n’a plus rien à voir avec ce que tu ressens. Ta dépression ? Un blocage énergétique. Ton anxiété ? Une pensée limitante. Ton mal de vivre ? Une vibration trop basse.
On t’apprend à devenir ton propre bourreau, en t’accusant doucement de ne pas être encore “aligné”.
Le vrai visage du bien-être : une injonction au silence
Ce système a besoin que tu fonctionnes. Que tu sois stable, calme, positif, adaptable. Et si tu ne l’es pas, on ne cherche pas à comprendre pourquoi. On cherche à t’outiller pour que tu rentres dans les cases. On t’administre une molécule ou un mantra. On t’explique comment “gérer” tes émotions, jamais comment les comprendre ni pourquoi elles existent.
Résultat : on pathologise tout ce qui déborde, ce qui résiste, ce qui questionne. La tristesse devient un trouble. La colère devient un déséquilibre. La révolte devient un trauma non résolu. Plus personne ne parle de politique, d’aliénation, de rapport de force. On parle de toi. Toujours toi. Ton cerveau, ton inconscient, ton énergie.
Ce n’est plus du soin. C’est du formatage. Une domestication émotionnelle.
Un business fondé sur la misère intérieure
Ce que révèle ce nouveau culte du bien-être, c’est une forme d’exploitation moderne de la souffrance. Le capitalisme du XXIe siècle ne vend plus seulement des objets, il vend de l’apaisement symbolique, du soulagement intérieur low cost, du sens à la demande. Il a compris que dans un monde insensé, les individus cherchent des repères. Il leur offre des illusions à prix variable.
Pendant ce temps-là, les causes structurelles du mal-être — isolement, précarité, surcharge cognitive, perte de repères, absurdité des rapports sociaux — restent intactes. Mieux : elles sont rentabilisées.
Car au fond, la vraie réussite de ce système n’est pas seulement d’avoir récupéré le langage de la santé mentale et de la spiritualité : c’est d’avoir réussi à s’enrichir sur la pauvreté intellectuelle. À remplacer la pensée par des protocoles. À transformer la détresse en abonnement. À coloniser le psychisme au nom du bonheur.
Et maintenant ?
Reprendre le pouvoir sur notre santé mentale, c’est d’abord refuser cette mise en marché de l’âme. C’est admettre que le mal-être est aussi politique, culturel, existentiel. C’est oser penser que la douleur n’est pas une erreur, mais parfois un signal. C’est se méfier des promesses trop lisses, trop simples, trop chères.
Et surtout, c’est redonner à la pensée — la vraie, celle qui dérange — sa place centrale. Car tant qu’on nous fera croire que nos maux sont uniquement des dysfonctionnements internes, les vrais déséquilibres du monde continueront à prospérer.
Comments